La quête des moulins au fil des archives

Avec la diffusion de la machine à vapeur au XIXe siècle, puis l’arrivée de l’énergie électrique en 1890, les petits moulins ont fini par disparaître. En 1849, on comptabilise 795 moulins à farine dans le département, répartis sur 239 communes ; en 1918, 470 moulins à eau, 15 minoteries à eau et 29 minoteries à cylindres sont recensés. Toute recherche pour la mise en valeur du patrimoine rural, la restauration et la réhabilitation de moulins doit faire appel aux documents d’archives qui permettent de dater la construction, d’approcher l’histoire du bâtiment, d’apprendre à quoi il était destiné et quelles transformations il a éventuellement subies.

La réglementation relative à l’hydroélectricité mise en place avec la loi de 1919 – complétée et réactivée dans les années 1980, notamment à la suite à la loi « pêche » de 1984 et la loi du 3 janvier 1992 sur l’eau a conduit nombre d’utilisateurs de la force motrice de l’eau à avoir recours aux archives pour établir la réalité des droits fondés en titre.

Les sources archivistiques varient en fonction de la période historique et de l’évolution des institutions.

Sous l’Ancien Régime, le moulin à eau est seigneurial, dépendant d’un château ou d’un monastère. Les archives le concernant peuvent se trouver dans les fonds des établissements religieux, les registres paroissiaux, les papiers de famille et les actes notariés. Il s’agit de terriers, reconnaissances féodales, titres de cens et rentes. Les minutes des actes notariés fournissent de précieux renseignements sur les prix-faits pour les constructions, les réparations, les inventaires après décès, les ventes, les contrats d’apprentissage, de partage des eaux, etc.

À titre d’exemple, sont conservés aux Archives départementales de la Corrèze divers titres de familles : contrats d’afferme et d’arrentement concernant les familles de Saint-Viance sur les moulins de la Bastide en 1652 (1 E 56) et Verlhac sur les moulins de Sainte-Féréole en 1682 et 1685 (1 E 68) ; les titres de la famille de Parel d’Espeyruc renferment de nombreux contrats sur le moulin du Gauchet à Donzenac (1 E 25, 27, 28, 30, 48). De même les minutes de Me Chicou, notaire royal de Donzenac, contiennent plusieurs actes sur les moulins au XVIIIe siècle (E 992, 1000, 1003, 1028, 1043), ainsi que la vente du Moulin-Neuf par le curé de Donzenac en 1730 (E 999).

Le recherche doit aussi s’orienter vers les administrations d’Ancien Régime : archives judiciaires et administratives de la province. Les archives des anciennes sénéchaussées : Uzerche, Ventadour, Tulle, et autres juridictions ecclésiastiques et seigneuriales, présentent un intérêt certain. On peut consulter des registres d’audience, des sentences, des procès-verbaux, enquêtes et autres pièces de procédure, et trouver des rapports d’experts choisis pour visiter les lieux contentieux dans les procès concernant les prises d’eau, les limites, les servitudes de passage.

À titre d’exemple, dans les archives de la sénéchaussée d’Uzerche, se trouvent : un procès-verbal d’établissement d’une forge sur le ruisseau de la Loyre, paroisse d’Orgnac, en 1672 (B 189) ; un procès-verbal de visite du moulin de Vauzours, paroisse de Saint-Pardoux-l’Ortigier, en 1786 (B 262) ; des enquêtes et procédures entre Pierre Desvignes, meunier à Voutezac, et Charles du Saillant au sujet des moulins et pressoirs dont ce dernier demandait la démolition, 1718 (B 2021)

Les papiers de l’Intendance de Limoges, pour le département de la Corrèze, concernent les ponts et chaussées, les rôles de la taille et les réclamations en matière d’imposition, ainsi que les palpes et arpentements. Un exemple de document conservé : le sieur Le Clère, directeur de la manufacture de Brive, demande que ses moulins soient exempts d’impositions, 1765-1790 (C 178).

Les états des fonds permettent de recenser les moulins à farine, huile, chanvre, tannin à une ou plusieurs roues, équipement, dont la carte de Cassini levée 30 ou 40 ans plus tard, ne rend que partiellement compte. Les états des fonds limousins réalisés entre 1741 et 1760, offrent un tableau précis de la propriété.

Chaque parcelle de la paroisse était mesurée par un arpenteur ; l’estimation du revenu des terres était faite par des experts « abonnateurs ». On parle alors de taille « abonnée ». Ces renseignements sont reportés sur la minute de l’état des fonds : localisation et superficie des parcelles, nature de leur exploitation, revenu annuel, noms des propriétaires et exploitants.

Les moulins sont dits « fondés en titre » lorsqu’ils sont antérieurs à la Révolution. La nuit du 4 août 1789 supprime le système de la banalité. Les biens des ecclésiastiques et des émigrés sont inventoriés, font l’objet d’une estimation et sont vendus aux enchères. Si tel est le cas, la recherche peut s’orienter vers les archives regroupant la vente des biens nationaux (série Q des archives départementales).

Après la période révolutionnaire, c’est la Préfecture qui est chargée, dans le ressort du département nouvellement créé, de la surveillance des rivières : salubrité, installations (ponts, barrages…), exploitation (moulins, usines utilisant la force motrice).

Les dossiers sont souvent classés par rivière et regroupés en sous-série 7S pour la période 1800-1940. C’est ici que l’on trouve toutes les autorisations de construction, les règlements d’eau, les modifications apportées.

A titre d’exemples, il est possible de consulter les dossiers suivants : demande d’autorisation d’établir un moulin au Saillant-Vieux sur la Vézère, commune d’Allassac, par le sieur de Lasteyrie, 1865 (S 249) ; rejet d’eau du moulin de Rouchat, commune de Vignols, en 1872 (S 159) ; établissement d’un barrage et reconstruction d’un ancien moulin en 1903 (S 158).

Pour cette même période, la sous-série 6M des archives départementales, contient des dossiers de statistiques industrielles et commerciales non négligeables comme un recensement des moulins à farine pour les années 1809, 1849 et 1939, par ailleurs lacunaire. La réglementation générale et le contrôle des diverse industries se trouve en sous-série 9M (9M 1-4).

En l’absence d’actes notariés, le chercheur doit consulter en premier les documents du cadastre. C’est la loi de finances du 15 septembre 1807 qui est à l’origine du cadastre parcellaire ; celui-ci appelé « ancien cadastre » ou « cadastre napoléonien » s’est maintenu jusqu’à la loi du 16 avril 1930 et la rénovation générale du cadastre. Le plan permet de localiser les moulins; quant aux matrices, elles nous renseignent sur la date de construction, les noms et changements de propriétaires, les dates de transactions, les dates d’arrêt de fonctionnement ; à partir des éléments fournis, il est possible de poursuivre la recherche dans les actes notariés.

Si quelques chercheurs et curieux s’imaginent qu’au XXIe siècle, il suffit d’appuyer sur un bouton pour connaître l’histoire d’une bâtisse, il n’en est pas ainsi : toute investigation participe d’une démarche intellectuelle à la recherche des documents conservés au fil des siècles, de façon à reconstituer la trame d’une histoire.

Droit ou ouvrage fondé en titre

Selon l’article L.210-1 du Code de l’environnement : « L’eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis, l’usage de l’eau appartient à tous ».

Les droits fondés en titre sont des droits exclusivement attachés à des ouvrages pour l’usage des moulins, des étangs ou l’irrigation. Ce sont des droits d’usage de l’eau particuliers, exonérés de procédure d’autorisation ou de renouvellement.

Ces droits d’usage tirent leur caractère « perpétuel » du fait qu’ils ont été délivrés avant que ne soit instauré le principe d’autorisation de ces ouvrages sur les cours d’eau. On opère une distinction entre le domaine public fluvial et les cours d’eau non domaniaux :

  • en règle générale, sur les cours d’eau domaniaux, il s’agit des prises d’eau établies en vertu d’actes comportant aliénation valable des droits dépendant du domaine de la Couronne ou de la Nation ou présumées établies en vertu de tels actes. Ce sont les droits acquis avant les Edits de Moulins de février et mai 1566, qui ont pour la première fois consacré l’inaliénabilité du domaine de la Couronne (aujourd’hui domaine public) dont faisaient partie les cours d’eau navigables ou flottables.

  • sur les cours d’eau non domaniaux, il s’agit des droits attachés à des moulins, des étangs, ou à l’irrigation, délivrés sous le régime féodal par la Couronne, principalement aux seigneurs et aux communautés ecclésiastiques avant la Révolution, et que la nuit du 4 août 1789 n’a pas abolis. En général, il s’agit de prises d’eau établies ou présumées établies en vertu d’un contrat d’albergement (cession par le Roi aux seigneurs des droits de jouissance sur cours d’eau non navigables ni flottables) antérieur à l’abolition de la féodalité, ou fondées sur une vente de biens nationaux comportant une aliénation à titre perpétuel des droits d’usage de l’eau.

Archives Départementales de la Corrèze

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